Le pèlerinage d'un nommé Chrétien

Préface

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« Je les ai instruits par un grand nombre de visions. » (Osée 12:10)

Approbation

J'ai lu par ordre de mon seigneur le chancelier un manuscrit qui a pour titre: « Le pèlerinage d'un nommé Chrétien » écrit en allégorie etc. Cet ouvrage est orthodoxe et animé de l'esprit évangélique. À Paris ce 16 juillet 1772, signé Genet, docteur de la maison et société de Sorbonne.

Préface du traducteur

Lorsqu'il paraît chez une nation étrangère quelque livre frivole, ou quelque roman licencieux, on ne manque point d'écrivains qui s'empressent de prostituer leurs plumes et leurs talents pour faire connaître ces ouvrages, et en répandre le poison parmi nous. Il n'en est pas de même des livres de piété, et de ceux qui peuvent rendre les hommes meilleurs; il semble que nos écrivains regardent ces sortent d'ouvrages au-dessous d'eux, et comme peu propres à leur faire un honneur dans la littérature. Ah, s'ils étaient véritablement chrétiens, ils prendraient sans doute d'autres sentiments et s'estimeraient trop heureux de pouvoir travailler pour l'édification et le salut de leurs frères!

Fasse le ciel que « Le pèlerinage d'un nommé Chrétien », que l'on publie aujourd'hui, aie le bonheur de contribuer à remplir ces objets. Cet ouvrage a été composé par le sieur Bunyan, Anglais, il y a déjà un grand nombre d'années.

Dès qu'il parut, il fut enlevé avec la plus grande rapidité, et son succès se soutient toujours. C'est d'après la vingt-huitième édition, publiée en 1751, que cette traduction a été faite; on ne s'y est permis que de légers changements, et le retranchement de quelques longueurs; mais on a tâché de conserver; autant que l'on a pu, l'admirable simplicité de l'original.

On le publie pour le présent que la première partie de l'ouvrage de monsieur Bunyan qui contient « Le pèlerinage de Chrétien ». Si elle est goûtée, on donnera la seconde partie qui contient « Le pèlerinage de Christiana » ou de la femme chrétienne.

Un livre tel que « Le pèlerinage de Chrétien », qui jouit depuis si longtemps des suffrages d'une nation judicieuse et éclairée, doit avoir un mérite réel : on ne croit pas pouvoir le faire mieux connaître, qu'en mettant sous les yeux la préface imprimée à la tête de l'édition de 1751.

Préface de l'éditeur anglais

La multiplicité des éditions de cet ouvrage prouve combien il est goûté. L'allégorie ou la parabole est un genre d'écrire, qui dans tous les temps, a été regardé par les hommes du plus grand génie comme le plus utile et le plus instructif; par la raison sans doute, que ce genre présente la vertu sous une forme agréable, et qu'il est attrayant non-seulement pour la jeunesse, mais même pour les personnes les plus mûres.

Platon, surnommé le Divin, et Socrate, que l'oracle déclara être l'homme le plus sage, faisaient un cas tout particulier de cette manière d'écrire. Mais qu'est-il besoin de recourir à des autorités profanes, quand nous voyons les écrivains sacrés donner les vérités les plus grandes et les plus importantes pour les hommes, sous une enveloppe et sous des figures? Vraisemblablement ils ont pensé que, par ce moyen, ces vérités s'insinueraient dans l'esprit avec plus d'adresse et de force. Nathan en sentit toute l'importance, lorsqu'il vint annoncer à David la colère d'un Dieu irrité. Ce roi, qui avait reçu du Ciel les faveurs les plus signalées, s'était oublié au point de commettre les deux plus grands crimes, l'adultère et le meurtre. Si le prophète eut reproché à ce prince son péché, sans apporter de ménagement, il eût pu encourir sa colère et son indignation : mais il eut recours à une parabole, dont l'effet fut le plus heureux; et le monarque touché expia sa faute par son repentir et par ses larmes. Que pouvons-nous dire de plus, sinon que quelqu'un plus grand que Nathan et que tous les prophètes, que quelqu'un à qui le cœur et les affections de l'homme sont connus, Jésus-Christ, lui-même, dans le temps de sa vie mortelle, se plaisait à parler en paraboles à ceux qu'il daignait instruire.

On ne peut donc qu'applaudir à l'idée que M. Bunyan a eue de composer le « Le pèlerinage d'un Chrétien » comme il l'a fait : c'est une manière simple et naturelle, mais merveilleusement propre à représenter la vie de l'homme, puisque l'homme doit se regarder comme un pèlerin et un étranger sur la terre, ainsi que ses pères l'ont été. M. Bunyan a rempli son plan avec tant de succès, que jusqu'à présent il n'y a rien eu de mieux fait dans ce genre. Cet auteur, dans son style, joint à la plus grande simplicité un sentiment qui pénètre et qui touche. L'allégorie est admirablement soutenue; les transitions sont naturelles, les images fortes, nerveuses et pleines d'âmes; on y trouve surtout cet esprit qu'on ne voit répandu que dans les Saintes Écritures; aussi notre auteur montre-t-il combien il les avait étudiées, et combien il en était rempli, puisqu'il ne s'est presque servi que de leur style, et qu'il semble se l'être approprié.

Les plus simples et les plus grossiers pourront puiser dans cet ouvrage des instructions, et y apprendre à devenir meilleurs; et les plus savants y trouveront matière à de sérieuses réflexions. Une des qualités particulières de ce livre, c'est que par la manière dont les choses y sont dites, il attache si agréablement, qu'il difficile de le quitter. Les détails sur les misères et les faiblesses attachées à l'humanité sont si bien représentées dans quelques endroits, que l'on y éprouve plus de sensation qu'à la lecture de plusieurs belles pièces de théâtre, malgré la parure et le brillant de la diction de ces dernières. Oui, on croit pouvoir avancer qu'il n'y a personne de quelque état et de quelque religion qu'il soit, qui puisse lire quelques épisodes, et entre autres le passage de la rivière qui est à la fin, sans se sentir frappé d'une émotion religieuse et d'un tendre sentiment de piété.

D'après cet exposé, ne paraîtra-t-il pas étonnant qu'un homme simple et sans études, tel qu'était M. Bunyan, ait pu composer un ouvrage aussi utile et aussi admirable? Mais quoi! Dieu ne se plaît-il pas quelquefois à manifester sa gloire d'une manière éclatante, par la bouche même des enfants? Le pauvre et l'ignorant gagnent le ciel, tandis que (pour user des termes même de S. Augustin) les grands du monde et les savants, avec toutes leurs études et leur science, tombent dans l'égarement et se perdent. Tant il est vrai que l'Esprit de Dieu ne connaît point de bornes, et qu'il souffle les salutaires influences de sa grâce où il lui plaît.