Oméga II

Chapitre 3

Une épée de feu

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Arthur C. Daniells, 44 ans, Président de la Conférence Générale, travailla tard le soir du 30 décembre 1902. Durant un court moment de repos, il bavarda avec son jeune administrateur assistant et ensuite avec J. H. Evans, administrateur de la Review and Herald Publishing Company. C'était une soirée chaude comme le sont les hivers du Michigan, tranquille et sans neige; et les deux hommes pouvaient bien se détendre dans leur agréable conversation. Alors que l'année avait été plutôt mauvaise, économiquement, la Review elle, allait assez bien. Elle était l'imprimerie la plus grande et la plus moderne du Michigan, et les chiffres de fin d'année promettaient de beaux bénéfices pour l'année 1902. Ces nouvelles étaient bienvenues étant donné les difficultés de l'Église avec les finances de Battle Creek.

A deux blocs de maisons de la rue Washington, la cloche du « tabernacle » annonçait la réunion de prières et A. G. Daniells regarda sa montre et découvrit qu'il était, à ce moment-là, 19h30. Ce fut le dernier acte routinier qu'il accomplit cette nuit-là. Quelques instants plus tard, les lumières s'éteignirent, lorsque le générateur de courant de la ville cessa de fonctionner. Du bout de la rue venait une sinistre lueur bien reconnaissable pour ceux qui avaient vu le sanatorium en feu. Les deux hommes se précipitèrent à la porte. Le bâtiment principal de la Review and Herald était en flammes. Avant même que Daniells et Evans n'atteignent la rue, la salle de presse était en flammes. C'était un terrible spectacle, interrompu périodiquement par des explosions quand les fenêtres des bureaux surchauffés éclataient; une nuit apocalyptique, surnaturelle, remplie de cris des pompiers, de chutes de vitres, du bruit des pompes à eau, de masses d'eau qui semblaient disparaître dans le feu sans aucun effet. Périodiquement, on percevait le bruit des lourdes machines qui tombaient d'un étage à l'autre précipitant les meilleures presses du Michigan dans un brasier : cinquante-trois ans de dur travail et de sacrifices et un équipement coûteux, tout cela s'embrasait dans une avalanche sauvage de machines d'acier et de caractères fondus.

En moins d'une heure, la Review and Herald Publishing Company (avec ses promesses de bénéfices pour 1902) n'était plus qu'une masse de charbon et de briques dispersées, avec les presses adventistes éclatées, couchées parmi les plaques fondues du Living temple « Le temple vivant » de Kellogg.

En moins d'une année particulièrement dévastatrice, deux importantes institutions adventistes avaient disparu en fumée et le Capitaine Weeks, chef de service de la brigade des pompiers de Battle Creek, donna un avis que personne ne pouvait contester : « Ce qui est étrange dans ces incendies des Adventistes du 7e Jour, c'est que l'eau versée sur les flammes les active plus que de l'essence. » Pendant des semaines, un étrange témoin plana sur Battle Creek, rendant impossible d'oublier ce qui s'était passé. Pendant l'incendie, une grosse masse de charbon avait pris feu; elle brûla jusqu'en février, produisant une colonne de fumée qui rappelait constamment les avertissements d'Ellen White : « À moins qu'il n'y ait une réforme, une calamité atteindra la maison d'édition, et le monde en connaîtra la raison. » Cela s'était produit et, pendant des semaines, le message était visible dans le ciel du Michigan.

« Pendant plusieurs années, j'ai porté un lourd fardeau pour nos institutions » écrivit Mme White après avoir reçu le télégramme l'avisant de ce triste sinistre. « Parfois, j'ai pensé que je ne participerai plus aux grandes assemblées de notre peuple, car mes messages semblent laisser une faible impression sur nos frères responsables, une fois les réunions terminées. » Elle dit avec mélancolie comment elle quittait de telles assemblées, « pressée comme un char sous des gerbes de blé » et, comme elle considérait tristement le mince télégramme jaune, avec son terrible message, elle s'est peut-être souvenue des débuts de l'œuvre d'édition un jour d'été de 1849, avec un sac de tissu usagé qui contenait tous les exemplaires imprimés du premier numéro de Present Truth. Son mari James avait dû le porter alors qu'il se dirigeait vers Middletown, Connecticut, dans un voyage de 25 kms à pied.

Cela s'était passé il y a longtemps, très longtemps. L'œuvre avait commencé avec cette énergie extraordinaire que le sacrifice seul peut générer, mais les décennies s'étaient écoulées l'une après l'autre. Comme les années passaient, le peuple de Dieu développa un comportement qui le priva de la chance de voir le ciel de son vivant : il avait appris à ignorer les avertissements du Seigneur quand ils ne convenaient pas à ses inclinations. Maintenant l'œuvre était en retard de plusieurs années. Si le peuple de Dieu continuait à avancer à cette allure, le monde pouvait attendre pendant longtemps encore la venue de Jésus.

« À moins que... » Les mots persistaient comme la fumée sur Battle Creek. Il y avait dans tout cela une leçon pour le peuple qui s'appelait lui même : le Reste – une leçon chèrement acquise, au prix de deux institutions : le peuple de Dieu, avait-il enfin appris à suivre le plan de Dieu pour l'avancement de son œuvre ?

C'était une question à laquelle Kellogg semblait sur le point de répondre de façon irrévocable. Il avait été souvent averti par Ellen White sur le fait que sa nouvelle conception théologique le conduirait, lui et tous ceux qui le suivraient, sur un terrain périlleux. L'Église organisée avait refusé d'imprimer son manuscrit. Il avait alors voulu agir de lui-même; et maintenant, les débris de la Review and Herald Publishing Company reposaient sous une colonne de fumée charbonneuse souillant le ciel hivernal. Toute personne au discernement éclairé comprenait qu'il y avait là un avertissement pour le Dr Kellogg; cependant, il était près de démontrer la puissance d'un choix qui, ayant rejeté la vérité, le conduisait toujours plus loin d'elle. Un de ses premiers actes fut de donner son manuscrit à un autre éditeur pour le faire imprimer!

Kellogg était engagé dans un affrontement direct avec les dirigeants de l'Église et bientôt, il devint clair que cela comportait beaucoup plus que de faire imprimer un livre... C'était le contrôle de la Conférence Générale elle-même qu'il voulait prendre.

Le 28 juin 1905, Ellen White donna, pendant qu'elle se trouvait en Californie, ce qu'on pourrait considérer comme le plus saisissant témoignage qu’elle n’ait jamais donné à l'Église. Dans ce témoignage, elle dit sans détour qu'un plan était établi pour prendre le contrôle de la propriété et de la structure de l'Église. Il s'agit d'un écrit tellement étonnant que je désire vous le présenter ici tel qu'elle le publia.

Un avertissement solennel

San José, Cal., le 28 juin 1905.

« Je veux faire retentir une note d'avertissement pour notre peuple, pour ceux qui sont près et pour ceux qui sont loin. Ceux qui sont à la tête de l'œuvre médicale à Battle Creek ont entamé une action pour prendre le contrôle d'une propriété sur laquelle, du point de vue du tribunal céleste, ils n'ont pas ce droit. J'écris pour alerter pasteurs et membres laïcs afin qu'ils ne soient pas trompés par ceux qui sont en train d'entamer cette action. Une œuvre de séduction est en cours pour obtenir la propriété d'une façon sournoise... Je ne citerai pas de noms. Mais il y a des docteurs et des pasteurs qui ont été influencés par l'hypnotisme exercé par le père des mensonges. »

Ce passage serait déjà assez saisissant, mais le paragraphe suivant laisse le lecteur muet d'étonnement.

« J'ai envoyé des avertissements à plusieurs médecins et pasteurs, et maintenant je dois avertir toutes nos églises de prendre garde aux hommes qui sont envoyés dans nos conférences et dans nos églises pour le travail d'espions... Je ne peux pas tout spécifier maintenant, mais je dis à nos églises : Prenez garde aux représentants qui viennent de Battle Creek. Des agents puissants sont en train de travailler furtivement, là, pour semer les semences du mal.

« Espions », « agents puissants », « prenez garde ». Dans l'Église, on n'a pas l'habitude d'entendre ce genre de langage. Dans l'atmosphère collégiale d'un comité d'Église typique, là où même les opinions les plus effrontées sont exprimées de la façon la plus douce possible, le langage d'Ellen White est subtil comme un cri perçant à minuit. Quelque chose d'incroyablement mauvais était en train de se passer. Quelqu'un (ou quelque chose) cherchait à prendre le contrôle de l'Adventisme.

Cela venait de l'intérieur. Des hommes qui prétendaient croire en l'Adventisme, étaient en réalité déterminés à le changer, et elle fit connaître tout cela avec des paroles claires. « Il y a des hommes qui enseignent la vérité, mais qui ne vivent pas leur foi devant Dieu, qui cherchent à cacher leurs défections, et encouragent un éloignement de Dieu. »

Cela fait frissonner. Ces personnes prétendraient être quelque chose qu'elles ne sont pas. Il ne s'agissait pas d'un malentendu fortuit : il s'agissait d'un groupe qui cherchait activement à cacher ses défections et qui en même temps travaillait avec vigueur pour attirer des adeptes. Et Ellen White nous fait entrevoir les tactiques qu'il aurait employées :

« Se glissant à l'improviste, ils emploient des mots flatteurs et présentent très habilement de faux rapports avec une tactique séduisante. »

On serait tenté d'écarter sa déclaration sous prétexte que c'est impossible, mais l'histoire prouve le contraire. En effet, ses prédictions se réalisèrent tragiquement. À Battle Creek on préparait des complots qui pendant un temps étaient connus seulement par les conspirateurs et par la messagère de Dieu, qui eut une vision, la nuit, à propos de leurs réunions. En 1905, leurs plans étaient presque prêts : on était en train de faire sortir inexorablement de l'Adventisme le sanatorium de Battle Creek, et entre-temps Kellogg et ses associés commencèrent une campagne intensive pour que frère Daniells (qui soutenait Ellen White) soit enlevé de son poste de Président de la Conférence Générale.

Il ne s'agissait pas simplement d'un petit malentendu. C’était pour de bon. Si ceux qui désiraient le changement l'avaient pu, ils auraient saisi le contrôle politique.

L'Église adventiste du 7e jour était organisée en système démocratique. Les églises locales élisaient les membres du comité par vote majoritaire. Périodiquement, elles choisissaient aussi des délégués pour les élections du collège électoral, afin de représenter leur église pour élire les dirigeants de la Conférence. Les conférences locales envoyaient des délégués pour élire les responsables de l'Union. Et lorsque la Conférence Générale se réunissait en session officielle, le même processus démocratique était utilisé pour nommer les responsables de l'œuvre dans les différentes parties du monde.

Ce système, semblable à celui des organisations démocratiques à travers le monde, partageait avec ceux-ci une faiblesse : il n'était pas exempt de manipulations organisées par ceux qui étaient politiquement habiles. L'Église était par conséquent vulnérable vis-à-vis de ceux qui étaient en conflit avec l'Adventisme, et qui avaient décidé de changer les choses à travers la procédure politique.

En politique, il est une règle : une minorité bien préparée peut souvent manipuler une majorité non organisée (et non préparée). Quelqu'un avance une motion ou propose une personne pour un service déterminé; immédiatement un autre se lève et donne son appui enthousiaste à l'idée. Un autre les rejoint et un autre encore, de différentes parties du groupe, jusqu'à donner l'impression que la proposition jouit de la faveur de tout l'auditoire. À moins que la majorité reconnaisse ce qu'il y a derrière toute cette activité, cet élan peut conduire à un vote en leur faveur.

Pour ceux qui voulaient changer l'Adventisme, la route à suivre semblait pourtant évidente : employer la procédure politique pour essayer d'obtenir le contrôle administratif de la dénomination. Chaque fois qu'il était possible, ceux qui s'opposaient au changement seraient adroitement mis de côté. Si des places vacantes dans la direction se présentaient, des personnes favorables au changement seraient recommandées. Une fois en fonction, ces nouveaux dirigeants pourraient facilement introduire les changements pour lesquels la majorité (si elle en avait connaissance), n'aurait jamais voté. Dans les secteurs qu'ils contrôlaient, l'Église commencerait à refléter leur point de vue.

Cela à son tour conduisait à de nouvelles possibilités. Ayant obtenu une prise dans la structure de l'Église, les forces de Kellogg pouvaient commencer à étendre leur réseau, votant l'un pour l'autre pour les positions influentes dans d'autres comités de l'Église : conseils d'administration scolaires, d'hôpital et de collège, comités de Conférences. Avec patience et fermeté, ses forces pourraient consolider leur pouvoir.

Est-on allé trop loin dans les suppositions? En 1906, Mme White écrivit une lettre à G. C. Tenney où elle parlait d'une conspiration dans laquelle des hommes « étaient unis ensemble pour se soutenir l'un l'autre. » Et dans son excellente brochure, « Cent une questions sur le Sanctuaire et Ellen White », frère Robert W. Olson écrivit : « Le sanatorium s'éloignait de tout caractère dénominationnel, la maison d'édition était devenue une entreprise commerciale et un petit nombre d'hommes-clefs exerçaient un contrôle excessif, illégitime sur l'église par le biais de conseils d'administration interdépendants (l'emphase est ajoutée).

Mettez en action un plan pareil, et, en parlant humainement, ce sera seulement une question de temps pour qu'ils dominent l'église, à moins bien sûr, que la majorité ne se réveille pendant qu'elle est encore une majorité.

Tel était le scénario de cauchemar qui pouvait arrêter le progrès de l'Église, absorbant toutes ses énergies dans des discordes internes et partout où il se réaliserait, l'Église cesserait d'être productive. Au niveau local, une Église soumise à cette sorte d'intrigues commencerait à développer les signes classiques d'une Église en difficulté. À un niveau institutionnel, les effets seraient semblables. Bien qu'adventiste de nom, l'institution fonctionnerait de moins en moins bien, projetant une image de plus en plus en désaccord avec les principes de l'Adventisme.

Et selon toute évidence, en 1903, quelque chose de ce genre était en train de se passer à Battle Creek. Au Dîme Tabernacle, par exemple, commencèrent à se développer des conflits déconcertants. Les factions politiques qui désiraient prendre le contrôle du sanatorium se bagarraient entre elles. Des rumeurs peu aimables commencèrent à circuler. De vieilles amitiés en souffraient. Le Tabernacle développait vraiment les symptômes d'une Église en difficulté. Pendant ce temps, le sanatorium de Battle Creek lui-même s'éloignait de plus en plus de l'Église et des principes adventistes.

Il semblait que le Dr Kellogg avait une idée encore plus grande, il essaya de désarçonner le Président de la Conférence Générale. De 1901 à 1903, il n'y avait pas une présidence formelle de la Conférence Générale; à la place, il y avait un comité de 25 hommes qui choisissaient un « président ». À plusieurs égards c'était une excellente idée, mais qui comportait une faiblesse facile à distinguer pour toute personne pourvue d'ambition politique. Le président de l'Église mondiale n'était plus choisi par la Conférence Générale exerçant en session, mais il était nommé par 24 autres personnes en comité. En obtenant l'accord de treize d'entre elles, on pouvait faire nommer un président selon ses vues personnelles.

Kellogg n'était pas l'homme qui pouvait rater une telle occasion et les événements de 1903 le prouvèrent. Il commença une campagne intensive pour que A. G. Daniells soit enlevé de son poste de président de la Conférence Générale et, bien que ce plan connut un échec, le docteur recruta une forte coalition d'hommes qui approuvaient ses idées théologiques et qui étaient déterminés à ce qu'elles puissent être diffusées le plus largement possible dans l'Église. C'étaient « des hommes éminents », comme Daniells l'écrivit plus tard, (des pasteurs, des savants, des éducateurs qui « prirent ouvertement position en faveur de ce livre et de ses enseignements ».

Ceux qui acceptèrent la nouvelle théologie adoptèrent une attitude agressive et qui pouvait rapidement devenir belliqueuse en cas de résistance. Un soir, frère Daniells sortit du comité de la Conférence Générale pour rentrer chez lui. C'était en octobre 1903. Le sujet traité dans le livre de Kellogg (alors imprimé malgré l'avis contraire de la dénomination) était devenu l'objet d'une controverse intense dans l'Église. Fr. Daniells s'arrêta quelques instants sous un réverbère allumé pour s'entretenir avec un frère qui avait adopté les idées de Kellogg et faisait « tout ce qu'il pouvait » pour répandre son livre. Les deux hommes parlèrent pendant un moment essayant de se convaincre l'un l'autre quand soudain, le ton de l'interlocuteur de frère Daniells monta :

« Vous commettez la grande erreur de votre vie. » cria-t-il, ajoutant une menace pleine d'allusions au mécanisme politique déjà en action : « Après tout ce tumulte, un de ces jours vous vous réveillerez, traîné dans la poussière et un autre aura les choses en mains. »

« Je ne crois pas à votre prophétie », répliqua Daniells; et il ajouta une réflexion qui semble indiquer que ses vues étaient plus larges que le souci de sa propre carrière. « Je préférerais être roulé dans la poussière » dit-il « en agissant selon ma conscience que de marcher avec les princes en faisant ce qu'elle me dit être mal. » Puis il rentra chez lui pour prendre le repos dont il avait besoin après cette soirée troublée, méditant sans doute sur les bizarres changements de caractère qui accompagnaient les incursions de son ami dans cette nouvelle théologie.

C'était alors, si l'on prenait la peine d'y penser, un des plus grands dangers que l'église affrontait. En dernière analyse, le message adventiste avait toujours inclus le comportement. « Crains Dieu et donne-lui gloire. Souviens-toi du jour du Sabbat pour le sanctifier. Sont bénis ceux qui observent les commandements. À celui qui vaincra. »

À celui qui vaincra. L'Adventisme n'était pas une affaire ordinaire – et pas même une affaire de Chrétienté ordinaire, avec ses stupéfiants échecs publics : les Croisades, l'Inquisition, le mauvais traitement des Juifs, les traités non respectés avec les Américains d'origine, signés par des hommes qui chantaient à propos du salut chaque dimanche. L'Adventisme devait être différent. Il déclarait que bientôt, une génération en vie verrait la face de Dieu, et il croyait qu'un jour dans le proche avenir, les Adventistes auraient à témoigner, sous une grande pression, à un monde qui ne pouvait voir aucune raison d'observer le septième jour, le Sabbat.

« Le tribunal sera appelé à juger; Jean Q. Adventiste par rapport à la nation; vous êtes accusé de violation du Code Pénal Section 1258(a)(2), de ne pas vous être présenté au travail le samedi, et Section (a)(3) de n'avoir pas été présent aux services divins le Jour du Seigneur. Comment plaidez-vous? »

À ce moment-là, il n'y aura qu'un argument pour plaider non coupable : une solide conviction personnelle que la loi de Dieu peut être observée. (Quel effet cela aurait-il dans une salle de tribunal bondée et cynique si Jean Q., Adventiste, répondait : « Non coupable, votre honneur, sur la base de la loi de Dieu que je ne peux pas observer »?) Si quelqu'un voulait réellement neutraliser l'Adventisme, le privant d'une mission ou d'un message pour le temps de la fin, la meilleure méthode serait de confondre les Adventistes quant à savoir si la loi de Dieu, peut ou ne peut pas être observée par ceux qui la prêchent.

« C'est ici la persévérance des saints, qui gardent les commandements de Dieu. » Pour quiconque désirait n'accepter le Christianisme qu'à moitié, il n'y avait rien de rassurant dans le message adventiste.

L'Adventisme a porté le concept de victoire plus loin qu'aucune autre dénomination chrétienne, et cela pour une bonne raison : les Adventistes possédaient le message du sanctuaire, avec l'idée de l'urgence du temps de la fin.

« Ceux qui vivront sur la terre quand cessera dans le sanctuaire céleste l'intercession du Seigneur, devront subsister sans médiateur en la présence de Dieu. Leurs robes devront être immaculées et leur caractère purifié de toute souillure par le sang de l'aspersion. Par la grâce de Dieu et par leurs efforts persévérants, ils devront être vainqueurs dans leur guerre contre le mal. Pendant que le jugement investigatif s'instruit dans le ciel et que les fautes des croyants repentants s'effacent du sanctuaire, le peuple de Dieu sur la terre doit accomplir une œuvre spéciale de purification, il doit renoncer définitivement au péché. »

En redécouvrant la vérité du sanctuaire, l'Adventisme avait conduit les croyants plus loin qu'ils n'étaient jamais allés. Au cœur même du ciel, dans un lieu où une lumière éblouissante planait sur le propitiatoire, et où dans l'arche de l'alliance on trouvait une constante éternelle : la loi de Dieu. Dans ce lieu, l'acte final du plan du salut progressait. À travers l'histoire, les hommes ont prétendu être rachetés; maintenant les registres de leurs vies révélaient qu'ils l'étaient réellement.

Le jugement final progressait, et pour ceux qui vivaient pendant son déroulement, la vie posait un défi sans précédent : Bientôt, une génération d'hommes vivra lorsque le jugement se terminera et que la période de probation s'achèvera. Pour eux, il n'y aura pas l'option d'une conversion sur le lit de mort; ces hommes devront être prêts pour rencontrer Dieu pendant qu'ils sont encore vivants, et Jésus lui-même nous a avertis, qu'en ce jour, la plupart des hommes ne seraient pas prêts – à tel point qu'ils préféreraient être ensevelis sous une avalanche plutôt que de voir sa face.

Mais pour ce temps de défi, l'Adventisme avait une réponse, dans le ministère final de Christ dans le sanctuaire. Ici, les prières de Jésus pour son peuple seraient mélangées avec l'énergie puissante du Saint-Esprit. Du sanctuaire ne venaient pas seulement les défis du temps de la fin, mais aussi la puissance sans précédent pour faire l'œuvre de Dieu. Et c'est la raison pour laquelle il était si essentiel qu'ils accomplissent son œuvre selon ses dessins.

C'est là l'unique contribution de l'Adventisme à la théologie chrétienne! Un message qui mettait le point final à celui de la Réformation. Pendant des siècles, les chrétiens ont cru que le salut venait de la foi en Christ. En acceptant cela et partant de là, les Adventistes découvrirent dans les Écritures une nouvelle dimension qui sondait les profondeurs de la foi : par la foi en Christ, la vie entière du croyant peut être amenée en harmonie avec la loi Divine.

« Par la grâce de Dieu et à travers leurs efforts diligents, ils doivent être vainqueurs dans la lutte contre le mal. » Tout cela fut affirmé avec une notion d'urgence car le temps dans lequel cela s'accomplirait pouvait être très court. « Nous nous préparons à accueillir celui qui, escorté d'une suite de saints anges, apparaîtra sur les nuées du ciel pour donner aux fidèles et aux justes la touche finale de l'immortalité. Quand il viendra, ce ne sera pas pour nous purifier de nos péchés, pour nous enlever nos défauts de caractère ou nous guérir des infirmités de nos tempéraments. Ce travail doit être accompli auparavant. Quand le Seigneur viendra, ceux qui seront saints, se sanctifieront encore. »

Un jour d'été de 1868, Ellen White écrivit des choses semblables dans une lettre d'anniversaire pour son fils, dans laquelle l'amour maternel était mêlé au défi évident de l'ancien message adventiste : « Ne vous y trompez pas, on ne se moque pas de Dieu. Rien d'autre que la sainteté ne peut nous préparer pour le ciel... Le caractère céleste doit être acquis sur terre ou il ne le sera jamais. »

Il y avait un idéalisme dans cette foi, quelque chose qui dépassait même les rêves des Réformateurs qui avaient éclairé le monde avec la redécouverte du message de la justification par la foi. Luther, Calvin, Knox, tous avaient vécu l'achèvement de la longue nuit du Moyen-âge, chacun repoussant l'obscurité sur son propre chemin. Mais maintenant le jour nouveau, qui débuta si plein de promesses au seizième siècle était très avancé. L'histoire humaine était près de sa fin et les Adventistes du 7e jour avaient un message qui n'avait jamais été donné au monde : « Craignez Dieu et donnez lui gloire, car l'heure de son jugement est venue. »

Ces objectifs ne pouvaient plus être reportés dans un avenir lointain et confortable, et les Adventistes cherchèrent dans la Bible des exemples de ce que Dieu attendait d'un peuple qui devrait être enlevé au ciel sans passer par la tombe. « À travers la translation d'Hénoc, le Seigneur avait voulu enseigner une importante leçon » écrivit Ellen White. « On avait appris aux hommes qu'il était possible d'obéir à la loi de Dieu; que même au sein d'une société pécheresse et corrompue ils pouvaient, par la grâce de Dieu, résister à la tentation et devenir purs et saints... Le caractère divin de ce prophète représente l'état de sainteté qui doit être atteint par ceux qui seront « rachetés de la terre » lors du second avènement de Jésus-Christ.

Hénoc vécut sur la terre avant sa destruction par le déluge. Sa vie victorieuse prouvait que la justice était possible. Maintenant, une destruction encore plus grande attend le monde, et celui-ci doit recevoir une preuve ultime et convaincante que le salut peut résoudre effectivement le problème du péché. La dernière génération d'êtres humains devra décider, dans un bref délai et dans des conditions mondiales très difficiles, d'obéir à Dieu ou de perpétuer la rébellion, de vivre ou de mourir. Et la compréhension de l'enjeu leur sera revélée par la façon de vivre du peuple de Dieu!

Donc une vie chrétienne victorieuse n'est pas quelque chose que les croyants se doivent à eux-mêmes. C'est quelque chose qu'ils doivent à leurs voisins!

« À l'instar d'Hénoc, ils avertiront le monde de la seconde venue du Seigneur et des jugements réservés aux rebelles, et à travers leur sainte conversation et leur saint exemple, ils condamneront les péchés des impies. » En 1902, Ellen White rappelait aux Adventistes que « tous les livres écrits ne peuvent pas remplacer l'exemple d'une vie sainte : les hommes croiront non pas ce que prêche le pasteur mais ce que vit l'Église ».

Les Adventistes prétendaient posséder une compréhension de la salle du jugement au ciel (au temps de la fin), là où se trouvait la norme par laquelle Jésus était en train maintenant même de juger le monde. Ils avaient redécouvert la loi, et il leur fallait maintenant faire quelque chose en conséquence : soit la vivre, l'observer par la puissance de Dieu, ou alors trouver les meilleures excuses du monde pour rester dans le péché.

Il y avait là un réel danger; ils pouvaient être tentés de choisir la dernière alternative, et ce danger croissait au fur et à mesure qu'ils demeuraient dans ce monde. La norme révélée dans le sanctuaire était, après tout, extrêmement élevée. Le peuple aurait pu être tenté d'abaisser ses standards, et de se dire que la victoire du temps de la fin ne pouvait pas être atteinte, alors que le retour tardait, et que la prospérité distrayait même ceux auquel on avait confié le Message du Troisième Ange. Mme White donna des avertissements à ce sujet en termes clairs : « Qu'aucun ne dise : je ne puis pas remédier à mes défauts de caractère. Si vous arrivez à cette conclusion, vous n'obtiendrez certainement pas la vie éternelle. » Au cours de l'importante année 1888, elle avait écrit des pensées similaires : « À travers les défauts de caractère, Satan travaille pour gagner le contrôle de tout l'esprit et il sait que si ces défauts sont entretenus, chéris, il réussira. Ainsi, il cherche constamment à tromper les disciples de Christ avec ce fatal sophisme selon lequel il leur est impossible de vaincre. »

Mais en réalité, c'était possible. « Que personne ne regarde ses défauts comme incurables. Dieu donnera la foi et la grâce pour les vaincre. »

Ainsi, les Adventistes avaient une mission spéciale, il ne s'agissait pas seulement de prêcher la loi, mais de la vivre. Tout ce qui mettait en cause ce message de victoire personnelle mettait aussi en question la raison de l'existence de l'église, et c'était là que résidait le danger de l'enseignement de Kellogg. L'Église et le monde s'enfonçaient dans le crépuscule, allant vers la fin du temps de grâce, quand le jugement serait terminé et que la destinée de toute âme aurait été décidée pour toujours. Pendant les heures du jugement qui s'écoulent rapidement, chaque individu sera examiné par Dieu « selon un examen attentif et minutieux comme s'il n'y avait personne d'autre sur la terre ». Il y avait là un enjeu dont on ne pouvait exagérer la gravité.

Cependant les Adventistes étaient endormis par des théories agréables concernant la nature de Dieu, dans lesquelles les vérités vitales du sanctuaire et de la « Shekinah » n'étaient rien de plus que la lumière du soleil d'été. Désespérée de voir ses avertissements ignorés, alarmée par le pouvoir fascinant de l'erreur, Ellen White chercha une façon d'illustrer à quel point il était facile pour chacun de prendre l'erreur pour la vérité et elle eut recours à l'illusion d'optique de deux voies ferrées, se confondant au loin jusqu'à ce qu'elles semblent n'être plus qu'une. « La route de la vérité se tient très près de la route de l'erreur et les deux semblent n'en faire qu'une pour les esprits qui n'ont pas été éclairés par le Saint-Esprit. »

Alors, voyant quelques-uns des meilleurs esprits de l'Église pris dans le piège et y conduisant d'autres avec la même éloquence qu'ils avaient autrefois consacrée au message du retour du Christ, elle s'écria dans un désespoir presque total : « Mon âme est si angoissée quand je vois les plans mis en place par le tentateur que je ne puis exprimer l'agonie de mon esprit. Est-ce que l'Église de Dieu sera toujours déroutée par les stratagèmes de l'accusateur, alors que les avertissements du Christ sont si catégoriques et si évidents ? »

Même les ouvriers expérimentés étaient balayés dans une hérésie qu'ils ne reconnaissaient pas comme étant une erreur, et les forces de Kellogg étaient en train de connaître un succès spectaculaire. Mais quelque chose de pire encore s'avançait. Au cours de l'été 1904, Ellen White et A. G. Daniells furent secoués de voir que le problème prenait une nouvelle dimension. L'apostasie avait étendu ses objectifs au-delà des ouvriers expérimentés qu'elle avait déjà recrutés avec succès.

La prochaine cible serait la jeunesse adventiste.