Oméga II

Chapitre 2

Nous reçûmes de tristes nouvelles

[Flash Player]

Le 18 février 1902, dans les heures froides du jour qui se levait, la sonnerie de l'alarme d'incendie de la caserne des pompiers de Battle Creek résonna à l'intérieur de voûte de briques et de pierre. Les lumières clignotèrent, les hommes engoncés dans leurs lourds vestons croisés aux boutons de cuivre se préparaient rapidement tandis qu'en bas, les harnais d'attelage étaient ajustés sur les chevaux des voitures de pompiers. Un conducteur se lança sur le siège de la voiture-pompe, empoigna les rênes et la lourde machine s'ébranla bruyamment sur le pavage de briques, brisant le silence d'un noir matin d'hiver. C'était le matin et le sanatorium de Battle Creek brûlait de fond en comble. Sur le terrain, le personnel de nuit conduisit avec succès les 400 patients en sécurité tandis que la principale construction devenait un brasier. Les pompiers travaillaient avec héroïsme; il s'agissait, après tout, du plus grand et meilleur bâtiment de Battle Creek; mais rien de ce qu'ils pouvaient faire n'était en mesure d'éteindre cet enfer. Un pompier raconta plus tard combien ses efforts semblaient inutiles; l'eau versée sur les flammes semblait seulement accroître leur furie. Vers le soir, la majeure partie de ce grand complexe était détruite, réduite en un tas de ruines fumantes sous le ciel d'hiver.

Le Dr. Kellogg qui revenait de la côte du Pacifique, apprit cette tragédie par un reporter à la gare de Chicago. Il se mit immédiatement au travail. Après être monté dans le train pour Battle Creek, il se fit procurer une table par son secrétaire et passa le reste de ce voyage courbé sur cette table à tracer des plans pour une nouvelle construction.

Mme White réagit aussitôt qu'elle entendit la nouvelle. « Aujourd'hui nous avons reçu de tristes nouvelles : l'incendie du sanatorium de Battle Creek », écrivit Ellen White sur un ton qui ne cachait pas un auto-justifiant « Je-vous-l'avais-dit. » Pour elle, l'œuvre de Dieu c'était encore l'œuvre de Dieu, et les institutions de l'Église étaient toujours précieuses, même si elles s'étaient éloignées de l'idéal de Dieu. « Je voudrais vous donner une parole de sagesse, mais que puis-je dire? Nous sommes affligés avec ceux dont les intérêts étaient attachés à cette institution... Nous ne pouvons que pleurer avec ceux qui pleurent. »

Cependant elle n'exprima aucune surprise. Pendant plusieurs semaines, elle fut tourmentée concernant les événements de Battle Creek, ses nuits passaient « vraiment sans repos » dans le pressentiment d'un malheur imminent. Maintenant il était arrivé. Des années de fatigues étaient parties en fumée, et l'œuvre médicale avait été sévèrement frappée. Cependant malgré le dommage, cette tempête pouvait présenter un aspect positif : pendant qu'il était sur pied le sanatorium de Battle Creek avait... représenté l'argument majeur pour ne pas suivre le conseil de Dieu à propos de bâtiments surdimensionnés. Maintenant cet argument était anéanti dans un tas de charbon mouillé dans une pâle aurore d'hiver, et elle avait à donner des avertissements d'importance suprême aux frères qui se réuniraient bientôt pour discuter des décisions à prendre : ne pas rebâtir à Battle Creek, sous aucun prétexte. Construire plusieurs petites institutions de façon à ce que le problème du passé ne puisse pas se reproduire, et qu'un plus grand nombre de zones géographiques puissent être touchées par le message adventiste. « Une solennelle responsabilité repose sur ceux qui ont eu en charge le sanatorium de Battle Creek. Rebâtiront-ils une énorme institution ou mettront-ils à exécution le plan de Dieu en faisant des projets en plusieurs endroits ? » Le désastre pour tragique qu'il fût, offrait une occasion pour revenir sur les programmes avant que les choses puissent empirer ultérieurement. (Comme les dirigeants de l'Église devaient bientôt l'apprendre, bien que le feu ait été mauvais, les choses pourraient devenir bien pires ensuite).

À la question de Mme White, les frères auraient dû répondre aussitôt, et arrivée à ce point, l'histoire manifeste un pouvoir qui lui est propre, rassemblant un élan dont les acteurs de ce temps-là probablement ne se sont pas aperçus. Les frères qui devaient prendre une décision se trouvaient devant une de ces bifurcations invisibles de la route où une décision peut changer énormément le cours des événements pour toujours. Ils pouvaient choisir de suivre l'avis de l'Esprit de Prophétie – ce qui aurait comporté pour eux d'ignorer leurs propres intérêts personnels, de rester fidèles aux principes, et d'accepter quelques risques politiques. Sinon ils pouvaient choisir une route facile, en optant pour une solution de compromis.

Suivre le conseil d'Ellen White n'aurait pas été très facile. Sur une question précise, elle s'était placée en conflit avec le Dr. Kellogg, et il y avait là une ironie du sort. Kellogg était un vieil ami pour lequel elle avait beaucoup de considération et auquel elle aimait écrire « comme une mère écrirait à son fils. » Elle l'avait encouragé à étudier la médecine et l'avait aidé dans cela; il s'était appliqué à la « matière médicale » avec un génie remarquable, un médecin-né, s'il y en a jamais eu un, et maintenant il était un des médecins les plus célèbres d'Amérique. Malgré le contretemps du feu, Kellogg était encore une puissance à considérer, une personne aimable s'exprimant bien, qui revenait toujours sur des idées qui allaient de l'architecture hospitalière à la théologie, et il était entouré d'amis influents.

Lorsque les frères se rencontrèrent pour décider ce qu'il fallait faire, il était capable d'avancer des arguments irrésistibles pour rebâtir à Battle Creek – des arguments qu'il aurait développés avec une force persuasive devant ses collègues subjugués. Abandonner Battle Creek ? Battle Creek, c'était l'Adventisme même. Tout était là : la Conférence Générale, la Review, le « Tabernacle », l'industrie d'aliments diététiques. Ici on pouvait trouver facilement les ouvriers et les ressources nécessaires. Ici viendraient se faire soigner des personnes provenant du monde entier (et Kellogg avait raison : Henry Ford, Harvey Firestone, et aussi des membres de familles royales européennes venaient se faire soigner à Battle Creek). Perdre tout cela ? Et pour quel motif ? Pour mettre sur pied des petites institutions éparpillées dans des endroits dont on n'avait jamais entendu parler ? En outre – et ici l'aptitude de Kellogg pour le dramatique trouvait l'opportunité de se révéler pendant qu'il les disposait devant eux dans un geste théâtral – les plans étaient déjà tracés !

Bref, en s'opposant à Kellogg dans sa forme la meilleure on risquait de contrecarrer des idées exprimées d'une façon telle que voter contre serait apparu comme renier le bon sens. (Il y avait, bien sûr, un facteur que les frères auraient bien fait d'examiner avant d'entrer dans la salle de comité : Kellogg ne voyait pas dans l'avenir.)

Il y avait d'autres choses que les frères auraient dût considérer dans ce début de printemps troublé en 1902. Le fait de ne pas avoir suivi dans le passé les fréquents avertissements donnés par l'Esprit de Prophétie avait déjà endommagé gravement l'Église. Si une des institutions de Dieu avait disparu dans les flammes peu avant l'aube, ce n'était pas que Dieu n'avait pas pu protéger son œuvre. En effet, quand arrive une chose pareille, la question plus normale à se poser est celle-ci : Pourquoi a-t-il permis que cela arrive ?

Si chacun avait réfléchi longtemps sur cette question, plusieurs réponses seraient venues d'elles-mêmes. Malgré les nombreux avertissements et appels, on avait laissé une institution s'éloigner tellement du plan de Dieu qu'on pouvait penser qu'elle était désormais exclue de toute protection divine. N'était-t-il pas possible qu'il devait consentir à la perte d'une institution devenue tout simplement inutile pour son œuvre, ne justifiant aucune intervention divine, ne fût-ce que pour sa sécurité physique? (Ce que Mme White indiquait, en disant clairement que « Dieu avait balayé hors du chemin le grand sanatorium. ») S'il en était ainsi, alors le problème était trop grave pour pouvoir tenter la « solution » de compromis. Un principe était en jeu que les dirigeants de l'œuvre de Dieu auraient bien fait de reconnaître.

On a dit que l'aviation, c'est 99% de routine et 1 % de terreur. Nous pouvons trouver une variante à cet axiome qui s'applique aux dirigeants de l'œuvre de Dieu : une fois dans la vie se présente une occasion par laquelle vous pouvez gagner en un seul moment ce que normalement vous gagnez durant toute la vie – une occasion qui vaut tout, y compris le risque de sa propre carrière. Quand cela arrive, c'est une chose terrible de manquer l'occasion pour le Seigneur.

C'est ce qui a rendu tellement important ce croisement de routes. Il est vrai que l'œuvre avait été endommagée par un feu que personne n'avait souhaité, et moins que quiconque Ellen White. Mais il y avait encore une chance de diriger les choses de façon à éviter d'autres pertes. C'était encore temps! Comment faire? Repousser tout argument en faveur de la reconstruction, aussi séduisant qu'il puisse paraître, agir selon les avertissements donnés par Dieu, et créer la chaîne de petites institutions rurales qui auraient fourni, disait Mme White avec insistance, la meilleure atmosphère possible pour une vraie évangélisation médicale.

Faites cela, et l'Adventisme offrira un modèle mondial de la meilleure manière d'offrir les soins médicaux au plus bas prix.

Faites cela, et l'Adventisme démontrera, en avance, que le coût des soins médicaux ne doit pas faire tomber dans une spirale qui aboutisse à la faillite.

Faites cela, même si à court terme cela semble contredire le discernement humain et offenser des amitiés de longue date.

En d'autres termes, agissez avec foi.

On a beaucoup parlé à propos de la nécessité de la justification par la foi. C'était le moment et le lieu pour nos dirigeants de développer l'idée. La foi, après tout, n'est pas autre chose que de se confier en Dieu de façon suffisante pour suivre ses directives. C'est ce qu'on dit dans les prédications. Les nouveaux convertis doivent souvent choisir entre le Sabbat et un emploi. On paie la dîme, même quand le compte bancaire est mince, car la foi oblige une personne à être honnête avec le Seigneur (et à avoir confiance qu'il pourvoira à nos besoins matériels). Mais à ce moment-là, les frères se trouvaient en face d'un problème de telle nature qu'une mauvaise décision signifiait envoyer un message confus au champ mondial tout entier : pourquoi avoir confiance dans le Seigneur pour ton âme si tu ne peux même pas avoir confiance en lui pour choisir le lieu propice pour bâtir un hôpital?

Il y avait encore peu de temps pour ce monde. On aurait encore pût terminer l'œuvre avant que les affreux problèmes du vingtième siècle ne se précipitent sur un monde naïvement ignorant. Et ce problème, plus qu'on ne pouvait le soupçonner, dépendait de ce qui se passait dans une salle de conférence. Si dans cette salle, on prenait une mauvaise décision à propos d'une chose apparemment sans conséquences importantes (comme reconstruire ou non un sanatorium), cette mauvaise décision déclencherait une chaîne d'événements qui précipiteraient l'Adventisme dans la plus terrible crise de ses 58 ans d'histoire et laisseraient le peuple de Dieu encore beaucoup d'années dans ce monde.

Le 17 mars 1902, un groupe important de responsables de l'Église se réunit à Battle Creek. Kellogg était là, très brillant d'enthousiasme, donnant des descriptions verbales de tableaux d'un nouvel édifice magnifique. Bien que l'avertissement d'Ellen White à ce sujet ait été donné moins d'un mois auparavant, les frères écoutèrent Kellogg avec ravissement, pris dans une atmosphère désorientante de politique, de collégialité et de logique commerciale. La réalité était que personne ne pouvait contredire le docteur : Battle Creek était l'Adventisme; le sanatorium avait placé l'Adventisme sur la sellette, et se retirer maintenant, pour un incendie, aurait vraiment eu l'air d'envoyer le mauvais message. Pour ceux qui étaient encore troublés par le conseil de l'Esprit de Prophétie, Kellogg avait en réserve une promesse apaisante : le nouveau sanatorium ne doit pas être trop grand; au lieu de remplacer les deux importantes constructions, une seule construction serait érigée, limitée à cinq étages et de 137m,15 de long.

Après un autre désastre brûlant, Lot avait insisté pour aller habiter dans la ville de Tsoar avançant cet argument puéril, « n'est-elle pas une petite ville? » Maintenant le groupe réuni à Battle Creek répétait le raisonnement de Lot à sa façon : si c'était une erreur de reconstruire Battle Creek, cette erreur pouvait-elle être minimisée en construisant un bâtiment plus petit? Enfin on vota. Kellogg pouvait avoir sa nouvelle institution, pourvu que sa dimension reste petite (mais plus tard, en inspectant les fondations creusées, ils comprirent comment Kellogg avait l'intention d'interpréter largement ces restrictions).

Ainsi, les frères adoptèrent une solution de compromis. Devant une invisible bifurcation de routes, ils avaient choisi une direction qui satisfaisait la raison humaine, l'inclination politique et l'orgueil institutionnel. On peut se demander si, lorsqu'ils quittèrent l'assemblée, aucun d'entre eux n'était troublé par des arrière-pensées : s'ils ne se rappelaient pas que dans de précédentes occasions, la négligence à écouter l'Esprit de Prophétie avait comporté des pertes non nécessaires; s'ils ne s'imaginaient pas que la direction qu'ils avaient choisie allait conduire leur Église à une collision si terrible qu'elle serait comparée à un navire qui heurte un iceberg.

Il vaut mieux nous arrêter ici et considérer que ces hommes n'étaient pas méchants et cherchaient à conduire l'Église sans problèmes; beaucoup parmi eux étaient de bons frères qui allaient bientôt regretter leur erreur, et avec lesquels Ellen White collaborerait dans leurs efforts pour faire sortir l'Église de la crise qu'ils avaient provoquée. Leur erreur aurait pu facilement être la nôtre – c'est une erreur que nous pouvons très facilement commettre dans nos vies : choisir d'ignorer les avertissements divins lorsqu'ils ne concordent pas avec nos propres inclinations.

En tout cas, ils allaient bientôt être convaincus par des avertissements que leur décision était très mauvaise. Ayant choisi de substituer leur propre opinion aux claires instructions données par le Seigneur, ils rencontrèrent bientôt une chose que connaissent souvent les dirigeants lorsqu'ils font une erreur pareille : ils se précipitèrent tout droit dans une crise financière.

Environ 850 ans avant la naissance de Christ, un roi du nom de Josaphat avait fait face à une situation d'urgence... En provenance des terres désertiques de la vallée du Jourdain, des rois païens s'étaient alliés contre lui, unissant leurs forces dans une armée tellement redoutable que la défaite de Juda apparaissait certaine. Dans ce moment de grand danger, Josaphat eut le bon sens de reconnaître que le seul avis digne d'être écouté ne pouvait venir que de Dieu, et il fit l'unique chose qui lui restait à faire. Il pria.

Au cours de la réunion de prières, un obscur Lévite se leva et déclara avoir reçu un message du Seigneur. Nous connaissons peu de choses sur ce Lévite. Il apparaît seulement dans quatre courts versets, ensuite il disparaît de l'histoire – on pouvait difficilement reconnaître en lui les qualités requises pour assurer la survivance d'une armée. En outre, son conseil paraissait tout à fait insensé. Confronté à des forces largement supérieures, l'unique et mince chance de survie pour Juda consistait à rester dans leur cité fortifiée; mais Jahaziel leur dit d'abandonner la cité et de s'exposer, en lieu ouvert, à un terrible danger.

Le conseil paraîtrait absurde à toute personne formée dans la tactique militaire; aucun officier n'accepterait d'exposer ses troupes de cette façon-là. Mais le Roi Josaphat le fit. Pourquoi ? Parce qu'il était convaincu d'avoir reçu un avertissement du Seigneur. Et pendant qu'il conduisait son armée au dehors, vers ce qui allait se transformer en une victoire étonnante, il proféra une déclaration qu'on devrait graver sur la paroi de toute salle de comité de notre dénomination dans le monde entier : « Confiez-vous en l'Éternel, votre Dieu, et vous serez affermis; confiez-vous en ses prophètes, et vous réussirez. » Quand le peuple de Dieu se conforme strictement à ses desseins, il a promis qu'il y aurait des fonds suffisants pour son œuvre. « Si les ministres manifestaient un esprit de sacrifice de soi-même et l'amour pour les âmes, les moyens ne seraient pas retirés de la cause » écrivit Ellen White dans Témoignages, Vol. 2, et dans le Volume 8, elle exprima ses pensées sous la forme d'une promesse :

« Quand il y a une recherche du Seigneur et une confession des péchés, quand la réforme nécessaire prend forme... un zèle... sera manifesté pour la restitution de ce qu'on avait retenu. Le Seigneur manifestera son amour qui pardonne, et les moyens pour effacer les dettes de nos institutions arriveront. »

En 1902, la dette des institutions se gonfla comme un monstre. Bientôt il fut évident que le bâtiment que Kellogg avait imaginé aurait coûté une quantité d'argent – argent que personne ne possédait, ni ne savait comment se procurer. On peut imaginer la tension pénible dans la salle de comité lorsque des dirigeants qui s'étaient engagés dans un programme de construction, se trouvaient maintenant en face du fait qu'ils ne pourraient pas payer la facture. Enfin, A. G. Daniells, président de la Conférence Générale, émit une idée qu'il aurait bientôt l'occasion de regretter amèrement. Il rappela qu'Ellen White avait récemment consacré son livre « Les Paraboles de Jésus » dans le but de se procurer de l'argent pour les écoles adventistes. Ce fut un grand succès, et Daniells demanda si le Dr. Kellogg, qui était un excellent conférencier sur les questions de santé, ne pourrait pas écrire un livre de médecine populaire pour se procurer les fonds nécessaires pour le Sanatorium de Battle Creek.

Kellogg accepta promptement. Il fut un écrivain prolixe qui dictait dans le train, sur sa bicyclette et souvent dans sa salle de bains à un secrétaire qui semble avoir fonctionné normalement, en dépit des circonstances distrayantes : il s'appliqua à ce projet de livre avec enthousiasme. Le sujet en était, bien sûr, la santé. Mais il y avait aussi d'autres choses qu'il voulait donner au public, et le livre représentait l'occasion propice.

Durant plusieurs années, il avait réfléchi à propos de certaines nouvelles idées sur la nature de Dieu. Cette Entité dont nous parlons et dont nous chantons le nom le Sabbat qui était-il réellement ? Était-il réellement un Être, qui se trouvait quelque part dans le lieu appelé ciel ? Ou plutôt la réalité n'était-elle pas toute autre, illuminée avec des possibilités fascinantes : Sa présence, ne pouvait-elle pas se trouver dans tout ce qu'il avait créé? Dans ce cas-là, de nouvelles immenses perspectives seraient ouvertes à l'esprit humain. Si Dieu était en toute chose, cela signifiait qu'il était aussi physiquement une part de notre être. Mettez-vous d'accord sur cette idée, et tout sera à la portée de l'humanité.

Bref, au printemps de 1902, le Dr. John Harvey Kellogg – auquel on venait de confier l'avenir de l'œuvre médicale adventiste – jouait avec quelque chose qui s'appelle le mysticisme. Il était précipité dans ce que nous appelons aujourd'hui « New Age ». Tout cela aurait été exprimé dans le manuscrit qu'il était en train de compléter à la requête de A. G. Daniells. Il avait choisi d'intituler son livre « Le temple vivant ». Kellogg se plongea dans sa tâche avec énergie, écrivant fébrilement pour terminer le manuscrit dans un temps record, et au début de l'été, il avait terminé – à temps pour partir pour de longues vacances d'été en Europe.

Ainsi, le sort en était jeté. Le sanatorium de Battle Creek allait être reconstruit en dépit des conseils d'Ellen White et les frères apprendraient bientôt qu'ils avaient participé à un divertissement aux enjeux élevés et aux règles mystérieuses. Inspectant les fondations un des premiers jours de l'été précoce, certains découvrirent un fait curieux : elles étaient 30 m. plus longues que ce qu'avait promis Kellogg; et il apparaissait que plusieurs larges ailes s'étendaient en demi-cercle à l'arrière de la construction. En 1904, ces mots d'Ellen White résumaient la situation avec une tristesse poignante : « Quand le Seigneur détruisit le grand sanatorium de Battle Creek, il n'entrait pas dans ses plans qu'il soit reconstruit ici. Si l'on avait pris garde à ce conseil, les lourdes charges suscitées par le sanatorium de Battle Creek n'existeraient pas maintenant. Celles-ci sont un terrible fardeau. » Cette institution aurait dû être divisée en plusieurs parties. Mais la lumière qui a été donnée à ce propos n'a pas été suivie. »

Le « terrible fardeau » dont il est question ici était naturellement d'ordre financier. En rebâtissant à une si grande échelle, Kellogg était allé plus loin dans l'exagération que les frères ne l'avaient imaginé. Tout cela commençait à coûter très cher. L'immeuble de la rue Washington ressemblait à une massive construction de la renaissance italienne et était capable de recevoir plus de mille patients, soit dix fois plus que le nombre indiqué par Ellen White comme étant l'idéal. L'espace au sol mesurait 20.000 m2, avec du marbre incrusté, installé par un habile artisan italien qui avait supervisé le splendide travail de mosaïque de la librairie du Congrès à Washington; il apparut que rien ne serait épargné pour faire de ce lieu « le plus complet, le plus correctement équipé et le plus parfait des établissements de ce genre dans le monde. » Mais la charge financière imposée par des tels plans s'accrut bientôt étonnamment. « Croyez à ses prophètes, et vous prospérerez. » Ces paroles pesaient lourdement sur Battle Creek, lourd de l'atmosphère d'un passé gaspillé. Peu à peu, quelques-uns parmi les frères comprirent qu'il ne s'agissait pas d'une erreur accidentelle. Quelque chose de très mauvais était en train de se passer, dont les pleines dimensions n'étaient pas encore claires. En regardant en arrière on pouvait voir un virage bien défini dans le sillage du navire. Le navire avait changé de route. Maintenant il naviguait en direction nord, vers une zone de l'océan où soufflaient des vents froids et où, au-delà du brouillard de l'avenir, se cachait le plus sinistre des dangers : des icebergs.

Le fardeau financier que l'Église devait assumer était très lourd, au moins il pouvait être évalué en colonnes de chiffres. Additionnez-les et vous connaîtrez la mesure de ces mauvaises nouvelles. Mais ce que l’Église ne pouvait pas se permettre c'était une crise théologique. L'argent n'était, après tout, que de l'argent. C'était dommage de le perdre, mais on pouvait toujours apprendre de l'échec à faire mieux la prochaine fois. Mais pour la base théologique de l'Adventisme – c'était une autre histoire. Ébranlez la foi dans la base théologique, et le dommage sera incalculable. Or, comme la nuit suit le jour, les frères reçurent là une belle leçon de cause à effet.

Ils avaient choisi d'ignorer le conseil probablement parce qu'il n'apparaissait pas tellement important. Comme résultat, ils avaient confié l'avenir de l'œuvre médicale à un homme qui avait des projets inconnus pour eux. Kellogg amena rapidement les choses dans une profonde confusion financière, déterminant ainsi des vagues de crises successives. Ayant suivi leur propre jugement imparfait, ils avaient cherché à tâtons des moyens pour trouver l'argent, et avaient décidé que Kellogg devait écrire un livre. Et cela, à son tour, les conduisit dans de plus grandes difficultés – dans une crise qui allait secouer le cœur même de l'Église. Car le manuscrit de Kellogg contenait le germe d'une crise sans égale dans la doctrine.

Une des plus anciennes erreurs du monde est le désir obstiné de l'humanité de réduire Dieu à une force que nous pouvons manipuler pour accomplir quelque chose – pour obtenir la connaissance, pour favoriser l'ego, pour devenir (comme dit Lucifer) « comme des dieux ». Il n'est inhérent à cette erreur que Dieu serait une intelligence se développant à travers tout l'espace et la matière. Insistez sur cela, à travers la méditation, par exemple, et vous-mêmes deviendrez, dans votre imagination, semblable à Dieu. C'est là l'essence de beaucoup de religions orientales. Et c'est aussi la base du plus vieux mensonge de Lucifer, immédiatement après la création de l'Éden, l'appât qui a conduit Adam et Ève à l'erreur fatale.

Durant plusieurs années, Kellogg avait fait de singulières déclarations concernant la nature de Dieu, ce qui montrait qu'il était en danger de glisser dans cette direction. « Dieu est en moi », avait-il dit lors d'une réunion récente de la Conférence Générale, « et la puissance de Dieu est dans chaque chose que je fais; chaque acte est un acte créatif de Dieu. » C'était une idée fascinante qui semblait rendre la Divinité très proche, et rapidement, elle captiva l'intérêt de quelques penseurs bien connus de la dénomination. Il y avait un charme particulier dans la suggestion de Kellogg selon laquelle l'air que nous respirons est le moyen au travers duquel Dieu envoie son Saint Esprit physiquement dans nos vies, que la lumière du soleil est sa « Shékinah » visible. Des esprits instruits reçurent ce nouveau concept, communiqué avec chaleur et un enthousiasme « évangélique » par Kellogg. Mais maintenant, ces sentiments apparaissent plus persuasifs encore sur les épreuves d'imprimerie du nouveau livre qu'il avait choisi d'intituler : « Le temple vivant ». Dans le corps humain, affirmait-il, était le pouvoir de construire, de créer; c'est Dieu Lui-même, la divine Présence dans le temple.

Peu de gens réalisèrent que cette idée pouvait écarter quelqu'un du Christianisme pour l'entraîner dans le domaine du mysticisme religieux où il n'y a pas de place pour l'Être divin ni un lieu que l'on appelle « ciel ». Celui qui aperçut le danger fut William Spicer, et cela pour une bonne raison : missionnaire récemment rentré des Indes, il occupait maintenant une fonction à la Conférence Générale, et, instantanément, il reconnut dans la nouvelle théologie de Kellogg les idées qu'il avait connues dans l'Hindouisme. Alarmé, Spicer alla voir Kellogg, sans doute avec l'espérance que tout n'était qu'un innocent malentendu qui pouvait être mis en ordre dans une conversation personnelle. Les deux hommes s'assirent dans la véranda-promenade attenante aux chambres que Kellogg avait appelée « La résidence », et Spicer fut surpris de se trouver « immédiatement au sein d'une discussion sur les questions les plus controversées ».

« Où est Dieu ? » demanda Kellogg. « Il est au ciel » répondit Spicer. « Là, la Bible décrit le trône de Dieu, et tous les êtres célestes à son service. »

Kellogg avait 50 ans et 13 ans de plus que Spicer. Il étendit les bras dans un geste large vers le gazon, déclarant que Dieu était dans l'herbe, les arbres, les plantes, dans chaque chose. Pour réitérer un point déjà exposé au début de ce livre, le mysticisme est un concept complètement étranger au Christianisme. Il emploie une logique presque identique à celle qu'on trouve dans certaines religions orientales, et souvent débat une série de questions, conçues pour acculer l'interlocuteur dans un endroit apparemment sans issue. Kellogg fonça et posa une autre question.

« Où est le ciel ? » demanda-t-il. « Dans le centre de l'univers. » répliqua Spicer. « Où exactement ? Personne ne le sait. » La riposte de Kellogg fut immédiate, et imbibée de cette logique orientale : « Le ciel se trouve là où est Dieu », il rétorqua : « Et Dieu est partout ». Le syllogisme était classique, avec des implications dans les Matreya et les Dignaga de l'Inde du Quatrième Siècle : Le ciel est là où Dieu est. Dieu est partout. Donc, le ciel aussi [le nirvana] est partout.

Spicer repartit, abasourdi, comprenant qu'il venait d'entrevoir l'extrémité de quelque chose de plus grand qu'on ne pouvait l'imaginer, quelque chose qui pouvait ébranler l'Église. « Il n'y avait pas de place, dans cet exposé, pour les allées et venues des anges entre le ciel et la terre... La purification du Sanctuaire n'était pas quelque chose qui doit arriver dans le lointain du ciel. » Le cœur humain était « le Sanctuaire qui doit être purifié. »

W. A. Spicer avait affronté les premières rafales de l'orage et il discerna leur terrible signification. Au cours de l'été 1902, alors que le monde était prêt pour la proclamation du message du troisième ange et que les derniers moments de paisible opportunité s'écoulaient goutte à goutte, un des principaux piliers de la foi adventiste se trouvait soudainement ébranlé. Alors qu'il ne le comprenait pas vraiment lui-même, Kellogg avait attaqué la véritable raison d'être de l'adventisme. Il avait attaqué la doctrine du sanctuaire céleste.

Au cœur même de la doctrine adventiste (du septième jour) se trouvait la croyance que, dans l'année 1844, Christ était entré dans le lieu très saint du ciel pour un acte final de réconciliation appelé le Jugement Investigatif.

Les Adventistes fondaient leur foi sur la compréhension des prophéties de Daniel 8 et 9, dans lesquelles les 2.300 années du temps prophétique commencent avec le décret du roi de Perse et se terminent en automne 1844. Au cours de l'automne de cette même année, ils avaient revu les prophéties, cherchant à comprendre pourquoi Christ n'était pas venu, comme l'avaient prédit les prédicateurs millérites. Leur recherche les conduisit à une théologie qui n'avait jusqu'alors jamais été comprise dans le monde chrétien, un anneau qui lie la prophétie des 2.300 ans de Daniel avec le Jour des Expiations des Juifs. Dans le chapitre 6, nous explorerons en profondeur comment ils en arrivèrent à cette conclusion. Pour le moment, il suffit de dire qu'au sein du monde chrétien ce concept se trouve uniquement dans l'Adventisme (du Septième Jour). Il est tout à fait unique, et d'une logique irrésistible. Il met le plan du salut tout entier dans une position légalement rationnelle, et explique, avec une clarté éblouissante, comment Dieu mettra fin définitivement au problème appelé « le péché ».

Mais cette doctrine a aussi provoqué un ressentiment acharné, et cela pour une raison très simple : elle apporte une ouverture à des questions que la plupart des Chrétiens préfèrent ne pas traiter. La doctrine du sanctuaire nous oblige à regarder, par la foi, dans le lieu très saint. Là nous trouvons l'Arche de l'Alliance, contenant la Loi de Dieu. Avec la Loi vient le septième jour, le Sabbat, gravé par Dieu dans la pierre – un rappel gênant aussi que les Protestants ont aveuglément accepté un jour de culte imposé par un décret de Rome. Et avec une meilleure compréhension du livre de Daniel vient le fait inéluctable que l'« homme du péché » annoncé dans les Écritures n'est pas une force païenne. L'Antichrist est une apostasie à l'intérieur de la foi chrétienne.

Ainsi la doctrine adventiste du sanctuaire contient des arguments épineux aussi bien pour les Catholiques que pour les Protestants, et dès le début elle a été combattue vigoureusement. Les théologiens des autres dénominations l'ont ridiculisée comme une tentative évidente pour expliquer la déception de 1844. Parfois les attaques sont venues aussi de l'intérieur, soulevées par des personnes qui se disaient Adventistes. De tous côtés se produisaient des attaques envers cette doctrine d'une manière si persistante et si intense qu'Ellen White écrivit désespérément que « pendant les cinquante ans passés, chaque étape d'hérésie a été introduite, pesant lourdement sur nous, obscurcissant nos esprits concernant l'enseignement de la Parole, spécialement concernant le ministère de Christ dans le sanctuaire céleste ... ». Et elle s'écria « À Dieu ne plaise que le brouhaha des mots sortant de lèvres humaines ne diminue la foi de notre peuple dans la vérité qu'il y a un sanctuaire céleste, et que le modèle de ce sanctuaire fut une fois construit sur terre. »

Quelques-uns des plus forts « brouhahas », comme le dit Ellen White, avaient été suscités par un pasteur adventiste très connu du nom de D. M. Canright, lequel avait pendant plusieurs années suscité des questions et des doutes et avait adopté une position anti-adventiste, pour quitter finalement tout à fait l'église; il passa son temps, ensuite, à combattre ses croyances primitives, faisant de cela la mission de sa vie. En 1889, il publia un livre intitulé : « L'Adventisme du Septième jour rejeté », dans lequel il accusa « les Adventistes du Septième Jour de faire concourir artificiellement toutes choses pour étayer leur doctrine du sanctuaire... Si celle-ci est fausse, toute leur théorie s'écroule. » Après cela, il attaqua le ministère d'Ellen White, puis le Sabbat, la loi et l'état des morts. À la fin de ses 418 pages, Canright arriva à la conclusion : « Le système doctrinal des Adventistes du Septième Jour repose sur des théories sans support, venant d'un vieux fermier ignorant et des rêves d'une fille malade, illettrée et surexcitée. »

Pendant qu'il était encore un pasteur adventiste, Canright avait parfois regretté de n'être pas devenu un prédicateur renommé, en raison de l'impopularité du message adventiste. Pendant un temps peut-être, il bénéficia d'un peu de cette gloire qu'il avait rêvée. Son livre a été accepté par un important libraire-éditeur de New York, et les gens curieux crurent celui qui avait été un conférencier adventiste doué et qui ridiculisait son ancienne Église. (Son livre aurait encore été employé vers la fin du vingtième siècle par les critiques évangéliques de l'Adventisme.) Mais la célébrité de Canright s'évanouit selon le schéma d'une tragédie classique. Licencié de sa place de pasteur d'une importante église protestante, il finit par errer comme un fantôme dans les environs de Battle Creek, pour gagner petitement sa vie en vendant des livres de peu de valeur (devenus invendables dans les librairies), parmi lesquels aussi des livres adventistes. Il se retrouva enfin sans rien, excepté ses souvenirs de ce qu'il aurait pu devenir. En 1919, alors qu'une dernière maladie augmentait d'intensité, il arriva au crépuscule de sa vie et écrivit à son frère : « Reste avec le message, Jasper. Je l'ai abandonné, et je sais que je meurs comme un homme perdu. »

Canright avait choisi d'attaquer la doctrine du sanctuaire de front en disant que les Adventistes avaient mal interprété Daniel 8:14, rattachant par erreur ce passage avec Lévitique 16, qui décrit le Jour du Grand Pardon au temps d'Israël. Selon lui, Christ était entré directement dans le lieu très saint à son ascension (nous traiterons cet argument au chapitre 6), et partant l'insistance adventiste concernant la purification du sanctuaire en 1844 était erronée.

Ce fut une attaque répétée et directe sur les croyances fondamentales de l'Église; il n'était pas nécessaire d'être particulièrement clairvoyant pour lire son livre et comprendre qu'il n'était plus Adventiste. Mais la nouvelle provocation du Dr. Kellogg, en 1902, concernant le sanctuaire, fut autrement manifeste. Celle-ci entraîna chacun dans des chemins qui s'éloignaient profondément et subtilement de l'adventisme. Un premier pas dissimulait le suivant et on se trouvait tout à coup très loin sans s'en être réellement aperçu. Pour ceux qui désiraient ardemment mieux connaître Dieu, c'était rassurant de penser qu'il se trouvait dans les rayons du soleil, et de croire qu'il prenait part physiquement à chaque acte de la vie.

Cependant, en y réfléchissant mieux, les théories de Kellogg suscitaient quelques questions auxquelles il était difficile de répondre dans le cadre de l'adventisme traditionnel – questions que Spicer avait déjà affrontées sous la véranda de Kellogg. Si Dieu est partout et si le ciel se trouve là où est Dieu, alors le ciel aussi est partout. S'il en est ainsi, où est donc le sanctuaire? Kellogg avait une réponse toute prête qu'on trouve dans le titre de son livre, « Le temple vivant ». Selon Kellogg, le sanctuaire de Dieu était dans le corps humain. Cette théorie obligeait logiquement à rejeter les événements de 1844 comme incompatibles avec la lumière nouvelle. Tout au plus, 1844 pouvait-il être expliqué comme une étape sur la route de l'Adventisme vers la « maturité ».

Ce fut une erreur subtile, peut-être non totalement comprise par le Docteur lui-même, et quelques dirigeants de la dénomination commençaient à le reconnaître. Spicer l'avait reconnu. Daniells commençait à comprendre. Ellen White allait bientôt écrire des avertissements urgents. Et la question qui commençait à se poser aux environs de Battle Creek était celle-ci : le nouveau livre de Kellogg serait-il imprimé par la suite?

Ce n'était pas un problème simple. L'année 1902 se terminait et la construction très onéreuse du sanatorium connaissait la menace d'une grave crise financière. Pour cette raison, on avait grand besoin que le livre du Dr. Kellogg soit publié et vendu. Il y avait alors beaucoup de gens de bonne foi autour de Battle Creek qui ne voyaient rien de contestable dans cet ouvrage et adoptèrent la théorie du docteur avec un plaisir évangélique.

Six mois avant, les frères s'étaient réunis pour décider quoi faire à propos du sanatorium de Battle Creek. Deux voix avaient rivalisé, chacune en faveur de son principe : Ellen G. White, qui déclarait avoir un message du Seigneur, et J. H. Kellogg, qui de bonne foi exprimait brillamment ses grandes idées. Sans s'en apercevoir, les dirigeants de l'Église s'étaient trouvés devant un invisible croisement de routes, dont l'existence avait été reconnue seulement par une vieille dame qui voyait s'approcher un désastre. Or, les conséquences de leur décision étaient en train de précipiter sur eux une confusion déroutante. Crise financière. Une construction non appropriée à la mission mondiale de l'Église. Un pari désespéré pour trouver les fonds. Et le résultat de ce pari : un livre contenant une hérésie tellement profonde qu'elle pouvait détruire l'Adventisme.

Ce fut dans cette atmosphère orageuse que le Comité de la Conférence Générale se réunit, à l'automne 1902, pour décider s'il devait donner l'ordre d'imprimer au directeur de la Review and Herald Publishing Company. Leur décision ne fut pas facilitée par le rapport du comité de lecture qui avait été chargé de revoir le manuscrit de Kellogg et de recommander s'il devait être imprimé ou refusé. La bataille pour le contrôle était déjà évidente dans la décision du comité : la majorité de ce groupe ne voyait « aucune raison pour laquelle il ne pouvait pas être recommandé ». Ce rapport fut signé par des hommes comme A. T. Jones, qui avait voyagé et prêché avec Ellen White dans les années qui suivirent 1888. Deux membres sur cinq seulement votèrent contre.

C'est alors que se produisit un de ces événements exceptionnels qui changent le cours de l'histoire, altérant les relations entre les hommes et les institutions. Le Conseil d'Automne de 1902 adopta le jugement de la minorité et décida de ne pas publier le livre, demandant à l'Église de mettre sa confiance dans le Seigneur pour être conduite à sortir de cette crise.

Normalement, cette décision aurait dû mettre un point final à l'histoire. Mais, en 1902, le Dr. Kellogg était près du point de non-retour. Depuis plusieurs années, il avait rejeté les messages d'Ellen White qui contrecarraient ses plans, disant généralement qu'elle les avait donnés sur une « fausse » information communiquée par ses ennemis, et que ses témoignages sur lui étaient faux. Maintenant, face au défi direct de l'Église organisée, il devait prendre une décision. Rapidement, il choisit une alternative : La Review n'acceptait-elle pas d'imprimer pour des gens du dehors ? (Elle l'avait fait, assurément; dans les années récentes, elle avait même imprimé du matériel qui contenait du spiritisme, ce qui inquiétait Mme White.) Un messager descendit la rue Washington, vers l'Adventist Central Publishing House, avec cet ordre : imprimez 5.000 exemplaires de « Le temple vivant » et facturez le travail à J. H. Kellogg.

La commande fut acceptée! La Review, qui dans ce temps-là était habituée à imprimer des choses étranges, avait apparemment perdu sa capacité institutionnelle de juger de telle façon que le livre de Kellogg fut accepté malgré son erreur. Les ouvriers dans l'usine se mirent au travail. La composition pour le livre fut préparée à l'emploi. Les plaques furent préparées pour la presse. Dans l'imprimerie, des piles de papier bien rangées étaient prêtes à passer dans la grosse presse à vapeur. Dans une calme vallée de Californie, Ellen White se couchait, troublée par un pressentiment qu'elle comprit très vite : « Dans les visions de la nuit, j'ai vu un ange debout avec une épée comme de feu s'étendant sur Battle Creek... Désastre après désastre... »

Pour la Review, le temps pouvait être mesuré en heures.